Depuis nos débuts, on aime donner carte blanche à des artistes locaux pour égayer nos boutiques. Cette fois, c’est l’illustratrice Trui Chielens qui a relooké Juttu Nieuwpoort. Rencontre avec une créatrice pleine de couleurs, entre shopping, balades en bord de mer et bons conseils.
« Flâner dans une rue commerçante, c’est agréable, parfois léger, parfois un peu speed. Et avec la mer juste à côté, l’humeur monte et descend. Je voulais retrouver ce mouvement dans ma composition. J’ai donc imaginé un groupe de personnages exubérants — surtout des femmes, puisque Juttu Nieuwpoort ne propose que des vêtements féminins. Les lettres s’insèrent de façon ludique dans la scène, elles accentuent ce dynamisme. Et puis, j’intègre souvent de la typographie manuscrite dans mes dessins, c’est un peu ma signature. »
« C’est tellement spécial de voir mes dessins en taille réelle. »
« Oui, toujours ! Mes illustrations sont colorées, mais à partir d’une palette restreinte — trois ou quatre couleurs. Je commence par exemple avec du rouge et du bleu, je les superpose et le brun qui en résulte devient ma troisième teinte. J’ai adopté cette approche à force de m’intéresser à la sérigraphie. Mon travail fait souvent référence aux anciennes techniques d’impression. »
« Oh oui, absolument. Voir mes illustrations agrandies à taille réelle, c’est très impressionnant. Et surtout, c’est un contact direct avec les gens. Mon travail a toujours pour but d’aller vers les autres, mais ici, je peux carrément les voir passer… et observer leurs réactions. C’est fort. »
« Beaucoup, oui ! J’adore souligner une émotion à travers un vêtement. Les imprimés, les coupes, les matières… tout cela me fascine aussi graphiquement. Un jour, le responsable de la rubrique Culture de De Standaard — un de mes clients — m’a dit que je devrais lancer une collection. Il m’a lancé : “Ce pull que tu viens de dessiner, tout le monde voudrait l’acheter !” Je n’ai pas encore suivi son conseil, mais… ne jamais dire jamais. »
« Gerda Dendooven est une grande source d’inspiration. C’est elle qui m’a appris qu’un dessin peut tout simplement être amusant et joyeux. »
« Pendant mes études, j’ai mis un certain temps à trouver mon style. À Sint-Lucas, on nous encourageait souvent à aller puiser dans nos zones d’ombre. On nous disait que dessiner pouvait nous aider à exorciser certains traumatismes. C’est sûrement vrai pour certain·es… mais moi, j’ai toujours été une personne joyeuse. J’ai eu une enfance merveilleuse et, du coup, c’était difficile pour moi de retranscrire quelque chose de sombre sur le papier. C’est Gerda Dendooven, mon ancienne prof et une illustratrice que j’admire énormément, qui m’a montré qu’un dessin pouvait aussi être léger, espiègle. Il peut avoir de la profondeur, bien sûr, mais il peut aussi simplement faire sourire au premier regard. Ce conseil m’a donné une confiance énorme et a profondément marqué mon travail. Je suis en contact avec Gerda encore aujourd’hui. Elle me considère comme son égale, ce qui est très touchant… même si, pour moi, je reste la petite élève qui a tant appris à ses côtés. »
« Hockney a une façon unique de jouer avec les formes, la composition, la lumière, les textures et les couleurs. Il remplit certaines zones, en laisse d’autres vides… et ça t’invite à créer ta propre histoire. En découvrant son œuvre, j’ai commencé à regarder autrement — et donc aussi à dessiner autrement. »
« J’essaie d’enseigner dans l’esprit de Gerda : partir de ce que chacun a en soi et l’aider à le faire émerger. Jamais en imposant, jamais depuis une position de supériorité, mais en cherchant ensemble, côte à côte. Je me vois comme une force qui les pousse vers l’avant, pas comme quelqu’un qui les tire ou les corrige d’en haut. Et surtout, je veux aussi oser être vulnérable face à eux, pour qu’ils se sentent libres de se tromper. »
« Comme mon père, j’aime repenser à cette enfance insouciante et apparemment infinie au bord de la mer. »
« Quand mes grands-parents ont pris leur retraite, ils ont quitté la Westhoek pour s’installer définitivement dans leur maison de vacances à Sint-Idesbald. Mon père y a passé énormément de temps, et il en parle encore avec une grande tendresse, comme d’une époque insouciante et sans fin. J’ai hérité de ce sentiment-là, je crois. Moi aussi, j’ai souvent séjourné là-bas chez mes grands-parents, et j’en garde des souvenirs très doux. Après leur décès, nous avons repris la villa en famille. On se relaye pour y passer du temps, parfois même avec les cousins et cousines. C’est une idée qui me réchauffe le cœur. On a reçu des centaines d’offres de promoteurs immobiliers, mais on tient bon : cette maison de vacances restera dans la famille. »
« Visuellement, notre côte n’offre pas beaucoup de variété. Elle apparaît comme une ligne droite à l’horizon. C’est pour ça que j’aime tant la côte nord de la France, du côté du Cap Blanc-Nez ou du Cap Gris-Nez. Ce côté un peu sauvage, les falaises, les rochers… c’est très inspirant à dessiner. Mais je veux quand même capter notre côte belge à ma façon. Je travaille depuis un moment sur un livre illustré qui montre notre littoral sous différents angles. C’est un projet sans échéance, mais l’illustration que j’ai faite pour Juttu m’a donné l’envie de m’y replonger. »